De nos jours, j’ai l’impression que le sexe, c’est ce qui peut bien importer le plus dans nos vies. Et j’en suis l’une des preuves vivantes, de par le ‘métier’ que j’exerce. Est-ce que j’arriverais seulement à m’en sortir un jour, à trouver le courage de m’enfuir ? Je l’espère… Quelqu’un peut m’aider oui. c’est sûr et certain que j’ai besoin d’aide, mais avec le mac que j’ai,  j’aurai bien trop peur qu’il arrive quelque chose de grave, à cette personne en question…Le regard tourné vers l’extérieur, je caresse distraitement les cheveux de mon client d’une main, tenant une cigarette à moitié consumée de l’autre. Je sursaute un peu en sentant un bras se glisser autour de ma taille, bien avant qu’une grimace ne se forme sur mon visage en entendant :

▬ Bonjour ma puce...

Sa puce, sa puce, il n’empêche qu’il tire des plans sur la comète un peu trop vite à mon goût. Je n’appartiens à personne si ce n’est à moi seule, pas même à l’homme qui m'enchaîne depuis plusieurs années maintenant. Soupirant, je repousse son bras sans un mot et j'écrase la clope sur la table de chevet de ce porc, me rhabillant sans perdre plus de temps.

▬ Tu pars déjà... ?

Et collant, en plus de ça. Fermant lentement mes yeux, plus par lassitude qu’autre chose, je termine d’enfiler ce qui me sert de haut et je récupère mon sac et la deuxième enveloppe, contenant la moitié déchirée des billets. La moitié avant, le reste après. Pourquoi est-ce qu’ils font tout le temps ça maintenant, ça devient une mode ? Il faut qu’on m’explique ! Heureusement que mon mac a de quoi réparer les billets et les raccommoder de manière à ce qu’on ne soupçonne pas qu’ils aient un jour déjà été déchirés, sinon, j’aurais été dans de beaux draps. Je soupire puis je relève le regard vers lui. Me reconstruire cette façade froide et indifférente sur le visage, celle qui n’est pas vraiment moi, et ne le sera jamais.

▬ Il me semblait avoir été claire, pourtant. Il n'y a pas d'illusions à se faire. Je fais mon boulot, tu me payes. Je n’ai pas que ça à faire.

Mais je regrette ma dernière phrase pas plus tôt sortie de ma bouche ; il me fixe avec un sourire qui veut tout dire : bien sûr que si, qu’à ses yeux et à ceux de pas mal d’autres encore, je ne suis bonne qu’à remuer mes fesses sous les yeux des hommes pour espérer ‘payer ma dette’. Me renfrognant, je me rapproche rapidement de la porte et je ne me gêne pas pour la claquer. Je ne me fais pas prier pour quitter rapidement l'hôtel. Je suis fatiguée, épuisée même, mais tant pis…M’arrêtant dans des toilettes publiques, je fouille dans mon sac et en sors un autre haut, le short passe encore, pas la peine que je le change. Cette deuxième vie m’épuise de plus en plus et je sais bien que je ne pourrais plus continuer très longtemps ce manège là, mais tant pis. MERDE ! Je vais être en retard pour mon cours.

Râlant dans ma barbe, je me dépêche de presser le pas. Tant pis, je mangerai un bout plus tard. Une fois arrivée à la fac, je me permets de passer quelques secondes aux toilettes avant de me diriger vers l'amphi de mon premier cours. Ma petite mine n'étonne pas vraiment mes amis : à leurs yeux, je passe pour une fêtarde, une bonne vivante, qui s'en fiche pas mal de faire des soirées en semaine. Mais la réalité est tout autre : je passe la majeure partie de mes soirées dans les ruelles les plus mal famées de la ville, à attendre qu'un de ces porcs m'emmène chez lui.

Ne croyez pas que je le fais de gaieté de cœur, loin de là. Il y a de ça plus de cinq ans maintenant, ma mère s'est séparée de mon père. Divorce, crises de larme, crises de nerf, et tout le tralala. Je vous épargne le chapitre où la famille se déchire. Ce qu'il faut retenir, c'est que même si elle a demandé le divorce, c'est ma mère qui s'est retrouvée avec le moins d'argent à l'arrivée. Et ce alors que nous avions à peine quitté ma Russie natale, elle et moi, pour emménager dans le grand New-York. Mon père est un fin rusé...Pourtant, ma mère, pas défaitiste pour un sou, me répétait souvent qu'on allait s'en sortir.

Le quotidien était une lutte pour ne pas trop dépenser ; pour pouvoir manger sans se retrouver exclues, faute de loyer impayé. Un beau jour, elle m'annonce qu'elle a rencontré quelqu'un de confiance ; un ami qu'elle a depuis plusieurs mois. Pensant d'abord à un rendez-vous amoureux, elle m'a ensuite révélé que cet "ami" lui prêtait en réalité de nombreuses sommes d'argent, assez régulièrement - elle m'a souvent dit qu'elle allait travailler dur pour le rembourser. Mais soyons réalistes : ma mère parlait à peine Anglais, et les employés russes sont très peu pris au sérieux. Du moins, c'est ce que j'ai cru deviner lorsque j'ai proposé ma candidature à quelques boulots, et que les recruteurs s'étaient montrés plus ou moins agréables. Mais à peine deux ans plus tard, nous étions dans le rouge, et son ami, lui, était plus que furieux. C'est à la même période que cet "ami" s'est montré sous son vrai visage : c'était en réalité un proxénète, à la recherche de sa prochaine victime.

Il n'a pas voulu s'en prendre directement à ma mère. Il voulait lui faire regretter d'avoir trahi sa confiance. Pour cela, il s'en est pris à ce qu'il lui restait : moi. Il m'a mis sur le trottoir. Aujourd'hui encore, je continue à payer les dettes de ma mère. J'ai essayé de m'enfuir de ce système, une fois, mais je l'ai payé trop cher pour avoir envie de recommencer...J'essaie de mener mes études comme n'importe quelle jeune femme de mon âge, mais je sais qu'un jour ou l'autre, mon secret va être découvert, et ce, malgré toutes les précautions que je prends.

Je suis tombée amoureuse. Juste une fois. Et c'était bien avant que toute cette merde ne m'arrive. Il m'a trompée et a mis la fille enceinte. Elle a réussi à l'amadouer et elle l'a gardé. J'imagine qu'ils vivent une belle histoire maintenant. Tant mieux pour eux. Qu'il vienne pas sonner à ma porte pour me dire qu'il regrette ; ça sera mes talons de dix centimètres dans sa tronche, sinon.