Treize juillet mille-neuf-cent-quatre-vingt-sept, trois heures du matin dans un hôpital de Genève. Il avait fait beau et chaud tout au long de cette journée à Genève, en Suisse. Le soleil surplombait la ville et la quasi totalité du pays. Les températures avoisinaient les trente degrés. Il faisait lourd mais, grâce à la brise du lac, cela apportait un peu d'air. Pas de chance pour Mademoiselle Rancourt, ceci dit. Pourquoi ? Et bien parce que la jeune femme âgée d'une petite trentaine d'années était en train d'accoucher par cette chaleur. Cela faisait plus de dix heures qu'elle était sur la table de travail et, non, le petit bout de chou n'était pas décidé à sortir. Et pourtant, le médecin allait devoir faire vite car Olicia était à bout de force. Son petit-ami était à côté d'elle un instant et puis, l'autre, il allait vomir. Quelle mauviette celui-là. Une césarienne (et une magnifique cicatrice dans le bas ventre) plus tard, on put entendre des cris de bébé raisonnés dans la pièce. "C'est un petit garçon, félicitations". L'homme, âgé d'environ quarante ans, était aux anges. Olicia, quant à elle, était trop épuisée pour regarder son fils, même si elle l'avait attendu depuis si longtemps. Ces deux-là essayaient d'avoir un enfant depuis plus de cinq ans, en vain. Ce bout de chou tout bleu et tout dégueu, c'était leur miracle. Et ce bout de chou tout bleu et tout dégueu, bah, c'était moi. Et je venais de pisser sur mon père Salut, je m'appelle Ethan, j'ai à peine dix minutes et j'emmerde déjà mon monde.

" P'pa ? Allez, viens. La piscine est trop tooooooop" "Mon grand, tu sais que papa ne sait pas nager, tu joueras après avec lui" Ouais, mon père ne savait pas nager... Ca ne l'avait pas ennuyé jusqu'ici mais, en devenant père, il aurait pu apprendre à nager non ? Enfin, à part ça, j'avais une vie d'enfant assez calme, monotone, avec des copains, des parents présents, une famille sympa et puis, l'arrivée de ma petite soeur Chloe l'année de mes trois ans. Mon père avait déjà cinquante balais quand elle est née. L'âge que certains avaient quand ils devenaient grands-pères. Tout comme moi, Chloe était un enfant "à pipette". Jamais nos parents ne nous ont caché qu'ils avaient eu besoin de l'aide médical pour nous avoir. Après tout, il n'y avait rien de mal à ça. Chloe, au départ, était l'ennemi public numéro un. Il fallait l'éliminer parce qu'elle m'enlevait le statut du petit chouchou, du petit dernier. Et puis, j'ai appris à l'aimer même avant qu'elle ne naisse. A l'heure d'aujourd'hui, Chloe a plus de vingt ans et, malgré qu'elle fasse très bien son rôle de petite soeur chieuse, elle reste la meilleure copine de jeux que j'ai pu avoir pendant mon enfance. L'année de mes quatorze ans, Maman fût mutée dans une nouvelle ville: Albuquerque en Amérique. Nous n'avions pas vraiment envie de nous y rendre mais, en même temps, nous n'avions pas le choix. Papa, lui, ne travaillait plus depuis qu'il avait eu son AVC. C'était donc elle qui ramenait de quoi faire vivre notre famille. Cette mutation, pour mes parents, était importante. Nous commencions à devenir grands, eux étaient de plus en plus fatigués et ne se voyaient plus vivre au rythme que la Suisse le demandait.

"Chlo, arrête !" "Ouuuuuuuuh. MAMAAAAAAAAN. Ethan il cache des petits sachets en carré dans son tiroiiiiiiiir" *Je vais la tuer, je vais la tuer, je vais la tuer.* Ceux qui n'ont pas de frères ou de soeurs ne peuvent pas comprendre. Vous vous souvenez du jour où, quand vous avez dix-sept ans, que vous avez votre première petite amie qui vient dormir à la maison, que vous faites des choses pas très catholiques et que, le lendemain matin, après que cette dernière soit partie, votre petite soeur ou petit frère débarque dans votre chambre, fouille dans vos tiroirs et trouve des capotes ? Eh bien, moi, je m'en souviens comme si c'était hier. Le moment le plus embarrassant de ma vie d'adolescent. Heureusement, par la suite, je me suis pas gêné pour l'emmerder quand elle avait ses copains à la maison. Mais, là, c'était pas vraiment pour taquiner ma soeur, mais plus pour dire à ces zouzous: "Oh, on touche pas ! C'est ma petite soeur". Grand-frère protecteur ? Non. Enfin... Juste un peu.

" Les enfants, Maman et moi, on doit vous dire quelque chose" Ca y'est, je sentais déjà la fin approcher. Quand les parents commençaient par ça, c'était foutu. Soit, on avait fait une connerie, mais bon, à vingt-deux et dix-sept ans, ils n'utilisaient plus ce ton-là avec nous. Soit, c'était vraiment quelque chose de grave. Et, honnêtement, j'espérais qu'on avait fait une connerie. "J'ai un lymphôme, les enfants." Là, je m'attendais à tout sauf à ça. Papa, malade ? Papa que j'avais connu toujours grand et fort, même s'il ne savait pas nager, était atteint d'un cancer incurable. Etait-ce possible ? Pas pour moi. Pas pour nous. Ces dernières années avaient tellement été pénibles au niveau de mes études - que j'avais du arrêté à cause de ma dyslexie trop prononcée - que je pensais que les mauvaises nouvelles, c'en était terminé. Eh bien non... Malheureusement, à peine quelques mois après le diagnostique, Papa était parti. La semaine qui précédait sa mort, il venait d'avoir soixante-cinq ans.

A peine un an plus tard, Maman revendait la maison et avait repris un petit appartement. Elle travaillait toujours pour la même boîte qui l'avait mutée à Albuquerque. Les années passèrent et nous avions encore bien évolué: Chloe était étudiante en infographie et avait un travail saisonnier à Disneyland. Quant à moi, à vingt-cinq ans, j'avais quitté le coccon familial. J'ai mis du temps mais voilà, je préférais mettre du temps et être sûr de mes choix plutôt que de quitter la maison à la va-vite et devoir aller manger chez ma mère tous les jours comme certains peuvent le faire. J'avais pris un appartement dans le centre-ville d'Albuquerque. Etonnamment, j'avais même assez de place que pour avoir une pièce dédiée à ma passion depuis que j'étais gosse, et à mon métier à l'heure actuelle: les jeux vidéos. Bon, d'accord, je sais, à vingt-sept ans, ça fait un peu pitié de toujours jouer aux jeux vidéos mais je ne fais pas qu'y jouer, je les créée également. A côté de ça, je suis marionnettiste le week-end et il m'arrive également de renouveler des marionnettes. Ce sont des métiers peu communs, je vous l'accorde, mais, après tout, il faut bien de la variété dans ce monde où tout le monde fait la même chose.