« Papa ? » c'est d'un pas peu assuré qu'elle se présenta sur le pas de la porte, le regard fixé sur l'homme dans la pièce, trop occupé à aligner les accords sur sa guitare pour lui adresser le moindre sourire. Il se contenta d'un simple hochement de tête, signe qu'il écoutait, malgré l'air concentré qu'il posait sur l'instrument. Les doigts de la jeune femme vinrent se tordre dans tout les sens alors qu'elle cherchait les mots, le regard fuyant. « Je vais me marier. » Voilà, c'était sorti. La gamine retint sa respiration alors que les doigts de son père stoppaient leur danse sur les cordes de la guitare et qu'il levait la tête vers elle, surprit. « De quoi ? J'ai bien entendu là ? » Un sourire nerveux prit place sur son visage alors qu'elle lui tendait la main droite, montrant par ce geste la simple bague qui ornait son doigt. « Tu te fous de moi ? Ton blond se ramène avec une bague en toc et voilà que tu te maries ? Tu n'es même pas une adulte Willis. C'est hors de question. » Le ton sec de son père la désappointa alors qu'elle sentait une certaine forme de colère pointer, mélangée à beaucoup de déception. « J'aurais vingt et un an dans un mois, je fais ce que je veux de ma vie et avec qui je veux. » S'entendit-elle répondre sèchement, la voix plus émue qu'elle ne l'aurait voulu. Elle aurait du s'en douter bien sur. Un père ne laisse pas partir sa fille comme ça, pas si jeune, pas sans rien connaitre du monde. Vexé de voir sa propre fille lui tenir tête il posa sa guitare et se leva comme pour se sentir plus grand, supérieur. Comme pour prendre le pouvoir. Ce qu'elle ne laissa pas faire bien sur, le regardant droit dans ses yeux, aussi clairs pour le père que pour la fille. Elle avait héritée de son regard, de son caractère de tempête, de son obstination. Une fierté pour lui parfois, un fardeau souvent. « Willis je ne te laisserai pas gâcher ta vie avec un type qui ne peut même pas t'offrir une bague de fiançailles digne de ce nom. Ce garçon n'a pas d'emploi stade, comment pourrait-il prendre soin de toi ? » Elle le fixa, stupéfaite par le culot de cet homme qui la regardait comme si elle avait perdu la raison. Alors c'était ça le problème ? Le statut précaire de son fiancé ? Un comble de la part de celui qui était parti de rien et avait réussi à fonder sur son seul nom une carrière prestigieuse. « Et toi papa, tu as commencé comment dit moi ? Ta carrière, ta musique, tu l'as commencé comment ? Noam peut y arriver, je le sais. Il a du talent, et son groupe est bon. Si tu arrêtais de le mépriser de temps en temps pour l'écouter un peu, tu t'en rendrais compte. Mais non, t'as toujours refusé de l'aider. » Il ne trouva rien à redire, entêter dans son choix. Elle attendit un moment, sentant la déception monter toujours plus, avant de soupirer. « Je l'épouserai de toute façon. Que tu sois d'accord ou non, je l'épouserai. À toi de voir si tu veux être sur la liste des invités ou non. Mais tu ne me feras pas changer d'avis. » Se contenta-t-elle de conclure, le ton sec et le regard dur. Un silence passa, puis un autre. Et sans plus de cérémonie elle fit demi tour, se lançant dans le couloir avant d'entendre derrière elle des pas rapides, et sa voix. « Will attends. Fais venir Noam et ses copains dans la semaine, je verrais ce que je peux faire, je ne te promet rien. » Elle sentit les muscles de son dos se détendre sensiblement alors qu'elle se tournait vers lui, le regard plein d'espoir. Il la fixa, cherchant manifestement les mots, avant de poursuivre. « Et si c'est lui que tu veux alors d'accord. Va pour Noam. »

« Promet moi que le jour où je me met à parler comme ton père, tu me descends. » La blonde se laissa rire alors qu'elle retirait ses hauts talons, la main sur le mur, le regard sur Noam. Le dîner familial avait été rude pour tout le monde et l'esprit mégalo de Wylder père avait fini par avoir raison de leur santé mentale. Prenant une voix d'homme Willis se contenta de mimer le ton de son père entre deux rires. « C'est tellement épuisant de devoir écrire un discours différent pour chaque prix reçu ! Ce serait plus simple si on utilisait le même à chaque fois, juste enregistré. Ça serait bien plus rapide ! » Noam la fixa alors qu'elle retirait sa veste, les pieds nues reposant enfin sur le parquet. Il souriait. Pas de ce sourire qui dévoile les dents et fait joli, mais d'un regard pétillant. D'un bonheur pur, tout simplement. Le genre de regard qu'elle adorait voir dans ses yeux, alors qu'elle remettait une mèche de sa longue chevelure derrière son oreille. « Quoi ? » Demanda-t-elle, rougissant presque de ce regard qui lui brûlait la peau. « C'est dingue ce que tu peux ressembler à ton paternel au final. » Le sourire de la blonde se perdit instantanément alors qu'elle le regardait d'un air outré, la bouche ouverte dans un o silencieux alors qu'il riait de plus bel, apparemment très heureux de sa petite blague. Il n'en fallut pas plus pour qu'elle n'attrape l'une de ses chaussures, les balançant sur le pauvre Noam dont le rire redoubla alors qu'il protégeait son visage. Pas qu'il ai l'habitude de la voir violente pourtant. Elle ne l'avait frappé qu'une seule fois en cinq années de mariage, le giflant alors qu'il la tripotait en public, trop ivre pour se rendre compte de la colère dans laquelle il la mettait. Et de cette gifle il n'avait pas le moindre souvenir. C'était leur quotidien. Les moments heureux, sobre, où plus rien d'autre ne comptait que l'amour qu'ils se vouaient. Et l'alcool qui le rendait taciturne, invivable. Plus ça allait et moins les moments de sobriétés pointaient le bout de leur nez. Un désastre qu'elle n'osait pas affronter. Lui ne se rendait pas même compte de tout ça. D'à quel point ils coulaient. Il s'approcha d'elle malgré son air boudeur et la prit dans ses bras alors qu'elle écartait la tête, esquivant ses baisés. « Oh allez quoi, je rigolais. » « Pas question, idiot. » Il la regarda, souriant. Et elle se laissa aller à nouveau, lui offrant ses lèvres pâles dans un baisé plein de promesses.

« T'es qu'un abruti ! » La porte de claqua d'un coup sec, et avec elle se déchira le cœur de Willis. Elle se laissa choir sur le tapis du salon, le visage baigné de larmes qu'elle était parvenu à retenir tout le temps qu'avait duré la confrontation avec Noam. Plus rien n'allait. Un mois qu'il était sorti de sa foutu cure et plus rien n'allait. Il lui avait pourtant promit que les choses s'arrangeraient, qu'il changerait. Mais elle n'était plus sur de vouloir ce nouveau mari, un acharné du travail aux démons encore trop présents. Partir en tournée, voilà ce qu'il voulait. Retrouver son groupe et cette popularité d'antan qui l'avait porté aux portes des enfers des années auparavant. Partir en tournée, c'était s'éloigner d'elle pour un moment. Elle avait un métier ici, à Albuquerque. Pas question d'abandonner ses élèves, pas même pour une vie de musique et de douceur. Pas question non plus d'abandonner ses proches partant aux quatre coins du pays si ce n'était du monde pour le bon plaisir de rêves qui lui faisait peur. Elle avait vu son père flirter avec toute sorte de femmes durant ses tournées, quand bien même sa mère l'attendait sagement chez elle, se demandant si oui ou non il l’appellerait cette fois. Elle refusait de redouter l'infidélité. Elle refusait de le voir partir. Elle refusait de rester seule. Sa main se posa sur son ventre et les larmes redoublèrent alors que le désespoir l’assommait. Combler les rêves de l'homme qu'elle aimait, ou le brider au risque de le perdre pour de bon. Un choix qu'elle n'arrivait pas à faire, trop occupée à s'imaginer la vie de cet enfant qui grandissait en elle. Son enfance n'avait pas été heureuse, ne voyant qu'à peine son père, le sachant toujours trop occupé pour s'occuper d'elle, pour l'aimer. Elle ne voulait pas de sa pour un autre être humain, pas son enfant. Plutôt partir que de le laisser se faire décevoir par un père aux ambitions trop lourdes à porter.