Il y a certains moments dans la vie, que l’on ne peut oublier. Peu importe le temps qui passe, les années qui s’écoulent. C’est comme si ce moment précis était prédestiné à hanter votre mémoire.
Ian Bing n’avait que onze ans lorsque son père est mort dans un accident de voiture. Il rentrait du travail, comme tous les soirs. La fatigue combinée à un autre conducteur sous l’influence de l’alcool et paf, une vie envolée. Ian était jeune à l’époque et pourtant, il se souvient encore du regard baigné de larmes de sa génitrice, lorsqu’elle avait raccroché le téléphone. Ou encore, des questions de son petit frère qui n’y comprenait rien. Il se souvient du trajet en voiture jusqu’à l’hôpital, qui lui avait paru interminable et de la main de sa grande sœur serrant la sienne. Il se souvient de ce jour comme si c’était hier. Le temps d’arriver à l’hôpital, son père était mort. Il n’avait même pas eu le droit à un au revoir. Rien. Une minute il était là, la suivante, il était parti à jamais.
Ian se souvient avoir mis du temps avant de réellement comprendre ce que tout cela voulait dire. Certes, avant ce drame, il avait pris connaissance de ce qu’était la mort… mais le vivre est bien différent. Il se souvient du soutien de Jamison, des pleures de sa mère, le soir, lorsqu’elle pensait ses enfants endormis. Il se souvient des mois qui ont suivi, des plaintes de son petit frère qui n’avait toujours pas compris que leur papa ne reviendrait plus à la maison. Il se souvient du silence inquiétant de Cece et du regard éteint de sa sœur.
Puis, il y a eu toutes ces fêtes des pères baignées de tristesse… ces réunions parents-professeurs terriblement gênantes ou encore des anniversaires à ne plus fêter. La famille Bing n’avait pas seulement perdue un membre de leur famille, non. Elle avait perdue une partie d’elle-même. En chaque membre de la famille résidait désormais un manque qui ne se comblerait jamais. Et pourtant, malgré la tristesse et la douleur, ils devaient faire face, parce qu’au fond, la vie continue et il n’y a rien d’autre à faire que de continuer à avancer.


« psss… ». Une, deux, trois secondes. « PSSSS !!! ». Il n’était pas très discret, si bien que quelques têtes se retournèrent sur lui. Il fut un instant gêné, mais le professeur de mathématiques ne l’avait pas encore remarqué. C’était le principal. « Eh roukmout ! », cela semblait être le mot de trop puisque Jamison se retourna, l’air blasé. « Quoi ? », demanda-t-elle brusquement, arrachant un sursaut surpris au jeune brun. « C’est quoi la réponse à la d ? ». Généralement, Ian était plutôt doué à l’école, mais les mathématiques, ça n’avait jamais été sa matière préférée. « T’as foutu quoi hier soir ? T’étais sensé réviser ! ». Elle n’avait pas tord, mais ses plans avaient subitement changé dès lors que sa grande sœur avait décidé de faire une soirée pyjama avec ses copines… Et Ian étant un casse-pied de service avait, bien évidemment, soûlé sa grande sœur et ses copines. « Ben c’est-à-dire que… Cece a invité ses copines et que/ », pas le temps de continuer que Jamison levait les yeux au ciel, finissant à sa place. « Et que t’as pas pu t’empêcher d’aller les emmerder… ». Il plissa les lèvres, pas vraiment fier de lui… Mais à l’époque, Ian avait une dizaine d’années et les activités que sa grande sœur pouvait avoir avec ses copines lui semblaient dénuées de sens. A quoi bon passer des heures à fantasmer sur Brad Pitt et se coiffer les cheveux ? Il n’y voyait aucun intérêt. « T’es vraiment pas doué, mon pauvre ! ». Il haussa les épaules, lui servant ce petit regard qu’il métrisait si bien et qui se voulait attendrissant. « Steupléééééé ? Et j’te file mon dessert à la cantine ! ». La jolie petite rousse soupira, abdiquant. « D’accord, mais t‘as intérêt à prier pour que ce soit un truc bon, sinon j‘t‘arrache les poils de nez à la pince à épiler. », et sur ces belles paroles, elle lui glissa sa feuille sur son bureau, lui donnant pleine vue sur les réponses qu’il savait exactes. « Laisse ma pilosité nasale en dehors de ça, s’il te plait ! ».

« Si je l’ai et que tu l’as pas… j’m’en fou, je boycotte mon diplôme et j’demande à refaire une année ! ».  Installés sur un banc, les deux amis profitaient du soleil matinal de ce début d’été. « Dis pas n’importe quoi… et puis de toute façon, tu peux pas le refuser alors commence pas à faire ton nerveux ! ». Il haussait les épaules, restant tout de même sur ses positions. En un sens, elle n’avait pas tord. Toute l’année, il avait eu de bonnes notes. Ses années lycée étaient sur le point de se terminer et pourtant, il était prêt à tout recommencer, juste pour rester à ses côtés. « Vous venez, ils vont afficher les résultats ! », indiqua Dawn, le petit copain de Jamison. La belle rousse se releva gracieusement du banc, attrapant la main que lui tendait son copain, alors que Ian mit un peu plus de temps, restant un peu en retrait du couple. Il n’aimait pas ce type. Dès lors que Jamison le lui avait présenté, il n’avait pu le supporter. Que ce soit son physique, sa façon de parler ou sa gueule d’ange, tout chez lui, lui inspirait une certaine jalousie refoulée. « Vous venez, ils vont afficher les résultats ! », imita-t-il vulgairement silencieusement, alors que Jamison et Down étaient loin devant lui. « Quel con ! ». Au fond, Dawn ne lui avait rien fait… il était même plutôt sympa avec lui… mais il sortait avec Jamison et c’était ça le problème. Ian se voilait la face, se confortant dans l’idée qu’il n’aimait pas ce type parce que c’était un con… alors qu’au fond, son animosité à son encontre était simplement due au fait qu’il sortait avec Jamison. Jalousie quand tu nous tiens ! « Bon, tu te ramènes tout seul ou tu veux qu’on t’appelle un taxis ? », lui cria Jamison, devant la foule surplombant les panneaux d’affichage. Il mit sa rancœur de côté et s’élança vers sa meilleure amie, leur frayant un chemin à travers les nombreux élèves qui semblaient dans tous leurs états. Certains pleuraient de joie, d’autre de tristesse. C’était l’apocalypse. « Bon alors. », souffla-t-il une fois devant les nombreuses listes affichées. Il les parcourut des yeux un instant et avant même de trouver son prénom, il chercha celui de Jamison… se rendant compte avec une joie infinie qu’elle était titulaire de ce fameux bac pour lequel ils avaient tant travaillé. Son regard glissa alors un peu plus haut et… c’est avec une joie un peu plus modérée qu’il se rendit compte que lui aussi avait son bac. Immédiatement, deux bras entourèrent le haut de son corps et il explosa de joie en même temps que Jamison. « ON L’AAAAA !!! ».

« Bon, tu comptes lui dire quand ? ». Surpris, Ian releva la tête de son bouquin de sciences, fronçant les sourcils à la vue de sa grande sœur, étalée sur son lit, à côté de lui. « A tonton André qu’il pue de la bouche ? Jamais, j’suis pas suicidaire ! ». Cecelia étouffa un rire alors que sa main droite venait pousser son petit frère. « Mais noooon ! A Jami… lui dire que tu l’aimes ! ». Cela semblait en être trop pour Ian qui s’étouffa avec sa propre salive, surpris par les dires de sa grande sœur. « Mais ça va pas la tête ! J’la connais depuis toujours, c’est comme une sœur pour moi ! ». Cece leva les yeux au ciel, visiblement agacée par l’aveuglement de son cadet. « Tu sais, tout le monde dans la famille est d’accord pour dire que t’es un ptit génie, mais parfois, t’es quand même sacrément con ! ». Il ouvrit la bouche, presque vexé par de telles paroles… mais venant de Cece, il savait que ce n’était pas de la méchanceté. Elle était comme ça, sa grande sœur, brute de décoffrage et en un sens, c’est ce qui faisait son charme. « Ecoute, Jami et moi on est amis depuis le jardin d’enfants… Sortir avec elle et l’embrasser ça serait comme… t’embrasser toi et ça, c’est franchement dégueu ! ». Cette fois, c’était au tour de la brunette d’être choquée. « Ah ben merci, c’est sympa ! ». Il pouffait de rire, la poussant gentiment à son tour. « Mais non, mais tu vois ce que je veux dire ! ». Elle se relaxa, passant une main dans ses longs cheveux bruns. « J’te taquine… mais sérieux, faudra que tu lui dises un jour ! ». Il soupirait, n’aimant pas vraiment cette conversation. « Et fais pas style, j’t’ai entendu gémir son prénom l’autre soir pendant que tu te bran/ ». Il ouvrait de grands yeux, la stoppant net dans son élan. « QUOI MAIS NON MAIS N’IMPORTE QUOI !!! ». Il se mit à rougir, gêné comme jamais. « Putain, mais y a aucune intimité dans cette baraque, c’est pas possible ! ». Affolé, il attrapa son bouquin qu’il ferma en un claquement vif et se releva du lit, incapable de regarder sa grande sœur dans les yeux, alors que cette dernière riait aux éclats. « Oh, te vexe pas Ianouninet ! ». Il plissa les lèvres, gêné et en colère. « Pff non mais n’importe quoi !!! Allez viens Popeye, on va se promener, y en a marre de traîner avec des malades pareils !!! ».