Après environ dix ans passés aux Etats-Unis, elle n’avait plus aucun mal à comprendre les gens ou à se faire elle-même comprendre. Elle avait passé la majorité de sa vie ici, et se considérait bel et bien comme une américaine, en plus d’avoir des papiers pour le prouver. Elle avait obtenu la double nationalité après tout ce temps, elle était pleinement américaine, sans réel souvenir de sa petite enfance en France. Elle n’avait que des images floues de son passé et ne cherchait pas particulièrement à tout découvrir, au risque d’être déçue. Ses parents étaient toujours ensemble, heureux et unis, comme ils l’avaient toujours été. Ils s’aimaient et c’était beau à voir. Son frère la taquinait toujours, même s’il était devenu bien plus sage avec le temps. Ils étaient très proches, mais pourtant, ils ne se le montraient pas vraiment. Ils n’étaient pas le genre de frères et sœurs qui se confiaient tout, qui ne se lâchaient jamais et faisaient les quatre cent coups ensemble. Peut-être que c’était dû à leur différence d’âge ou simplement à leur caractère… A quinze ans, Lou restait la même petite boule d’énergie, égale à elle-même, adulant encore les Walt Disney et tout cet univers. Elle avait pas mal d’amis sur qui compter, si sociable et agréable. Sa voisine, Solea, restait sa plus proche amie. Elle avait un an et demi de plus, mais ça n’avait pas d’importance. Elles s’entendaient à merveille, pourtant bien différentes, mais comme on dit, les contraires s’attirent, et c’était vrai pour elles. « Viens avec moi à cette fête ! Allez s’il-te-plaît !! Tu vas voir on va bien s’amuser ! Il y aura plein de monde, ça va être marrant ! Accompagne-moi ! Je ne veux pas y aller toute seule… On va encore dire que je suis trop jeune… » Elle ne pensait qu’à s’amuser, faire la fête naïvement, désireuse de tester l’alcool, de s’amuser jusqu’au bout de la nuit –enfin, au moins minuit, c’était déjà bien-. Elle suppliait sa meilleure amie pour ne pas arriver seule à cette soirée organisée par un de ses aînés du lycée. Le genre d’événement à ne pas rater. Après quelques réflexions, Solea finit par accepter et elles se donnèrent rendez-vous le soir-même devant le lieu de la fête. Lou passa tout l’après-midi à se préparer, cherchant la meilleure tenue possible. Elle essaya presque toute sa garde-robe avant de s’arrêter sur un ensemble assez chic, quoiqu’un peu trop court pour son âge, mais tant pis. Elle laissa ses cheveux détachés, une simple barrette sur le côté, un maquillage discret mais sombre. C’était parfait. Elle évita de croiser ses parents pour ne pas avoir à ses changer et fila à la fête. Elle se retrouva devant une grande villa digne des stéréotypes de riches américains et resta bloquée, impressionnée. Son amie arriva vite et la sortit de son état de choc. « Je m’attendais à une vieille maison avec un garage pour faire un peu la fête, mais pas à ça ! » C’était ridicule, mais excitant. Elles entrèrent et bien vite, Lou s’installa au bar pendant que Solea saluait les quelques gens qu’elle connaissait. Elle n’osait pas commander à boire, de peur qu’on la rejette en riant de son jeune âge, mais quelqu’un se chargea de son cas, lui tendant un cocktail qui avait l’air plus que délicieux. « Goûtes, tu verras, tu vas être bluffée ! » Il était beau, il avait tout pour plaire et elle tomba aussitôt sous son charme. Tellement qu’elle en oublia de se méfier. Elle but le contenu du verre d’une traite, idiote qu’elle était. « Wow ! Il est super bon ! C’est toi qui l’as fait ? Bravo ! » Le garçon sourit en coin, mesquin. « Disons que j’ai rajouté un ingrédient secret. C’est quoi ton nom ? » Lou ne se doutait de rien, tout sourire. « Lou, et toi ? » Il ne répondit pas, sirotant son verre. Quelques secondes plus tard, sa tête commença à tourner. Qu’est-ce qui lui arrivait ? Elle n’allait pas bien, elle avait l’impression d’être à la fois consciente et complètement soûle. Le type lui prit la main. « Tu vas bien ? Viens on va s’éloigner un peu, ça te fera du bien. » Elle hocha la tête, se tenant la tempe tant elle avait mal. Elle le suivit naïvement jusqu’à ce qu’il l’emmène dans une chambre, et puis rien, le flou total. Elle se réveilla quelques heures plus tard, nue dans les draps, ceux-ci tâchés de sang, et une douleur lui perforait le bas-ventre. Qu’est-ce qui s’était passé. Elle avait un mal de crâne incroyable. Elle se relevait péniblement, et un premier flash lui revint en mémoire. « Lâche-moi ! Laisse-moi partir ! » « Allez, laisse-toi faire, t’en as envie ça se voit. » Elle ne se souvenait pas de tout, son esprit était bien trop embrumé. Elle ne se rappelait même plus de son visage. Quelques scènes apparurent dans son esprit et elle comprit vite ce qui était arrivé. Salie, honteuse, elle se mit à pleurer, seule dans cette chambre, avant de se rhabiller pour rentrer chez elle. « Lou ! Tu es là ! Je t’ai cherché partout, ça va ? » Solea s’approcha d’elle et posa sa main sur son épaule, mais elle se recula, apeurée. Elle quitta la fête le plus vite possible sans dire un mot pour rentrer chez elle. Ce soir-là, elle passa des heures sous la douche. Elle se sentait tellement mal. Elle avait tellement honte. Comment pourrait-elle dire ça à qui que ce soit ? Elle ne voulait pas qu’ils sachent. Jamais. Elle ne parla donc jamais, se contentant de sourire comme si de rien n’était, choquée à jamais. Elle perdit vite l’appétit, au point de ne plus rien avaler, rejetant même les seuls aliments qu’elle ingurgitait, en cachette bien sûr. Personne ne se douta de rien. Elle avait été violée, et dans son esprit, tout était de sa faute. Elle avait été idiote et en avait payé le prix. Elle vivrait avec cette honte toute sa vie, et aurait à jamais peur des hommes.